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    Causerie

    Il ne se passe pour ainsi dire pas de jour sans que la presse ait à signaler quelque curieux exploit de voleurs ; l'audace de ces gens-là n'a d'égale que leur ingéniosité, aucune difficulté ne les rebute, et l'attrait du bien d'autrui est si puissant chez beaucoup d'entre eux qu'il développe les ressources de leur esprit inventif avec une merveilleuse acuité. On les admirerait parfois, s'il était permis, et si on ne le fait pas, du moins s'accorde-t-on souvent à reconnaître que s'ils voulaient bien mettre leur intelligence au service de procédés moins répréhensibles, ils pourraient faire très bonne figure parmi leurs contemporains.

    Mais il est entendu que rien n'est sacré pour eux, il est entendu aussi qu'aucune entreprise, si malaisée soit-elle, ne saurait les arrêter, et la garde qui veille aux barrières des palais n'en défend point les souverains. A preuve le hardi cambriolage dont la jeune reine Wilhelmine de vient d'être victime de la part d'un de ces adroits voleurs. Non seulement on lui a soustrait divers objets d'or et d'argent d'une valeur très importante, mais encore diverses pièces de son service de toilette. Pour un peu ce cambrioleur de haut vol aurait enlevé la reine elle-même, ce qui eût été beaucoup plus piquant ; mais il faut croire que ce genre d'opérations n'entrait pas dans sa spécialité, sans cela nous ne gagerions pas qu'il n'eût pas réussi ; avec un gaillard de cette trempe on pouvait assurément s'attendre à tout.

    Pour détourner de lui tout péril, on conte que Louis XI entourait son chapeau d'amulettes. La jeune souveraine, des Pays-Bas est vraisemblablement moins portée aux superstitions que le vieux despote qui régna sur la France, mais elle se mettrait à user d'objets de ce genre pour se préserver de dangers quelconques qu'il ne faudrait pas s'en montrer autrement surpris ; elle ne ferait en cela qu'imiter plusieurs têtes couronnées de notre époque.

    Le roi de Grèce porte invariablement à sa chaîne de montre, assure-t-on, un morceau de plomb tout déformé qui n'est autre chose qu'une balle tirée sur lui l'année dernière, aux environs d'Athènes, et qui fut retrouvée réduite, par le hasard du choc, à l’état de petit champignon métallique, dans un panneau de son phaéton. Il la considère comme un porte-bonheur et ne voudrait s'en séparer pour rien au monde.

    Tout fataliste qu'il soit, le sultan de Turquie, Abdul Hamid porte constamment une petite bague d'argent qui doit le préserver de tous les attentats ; si telle est sa vertu, il faudrait croire que les prédécesseurs de Sa hautesse n'en faisaient point usage, car ils ont pour la plupart péri par le fer ou le poison. Le Shah de Perse, lui aussi, porte une amulette préservatrice consistant en une énorme émeraude enchâssée dans sa ceinture, et il compte fermement sur elle pour le préserver du sort de son père, qui périt naguère, comme on sait, sous le poignard d'un fanatique.

    Chez les anciens, et la mode en subsiste encore dans certains pays, l'Italie du sud notamment, un collier ou une simple branche de corail constituait une amulette infaillible, capable de mettre à l'abri de toutes sortes d'accidents. On pourrait peut-être en essayer à Lyon pour se garantir du choc des voitures automobiles qui continuent à parcourir nos rues à des vitesses vertigineuses ; mais nous nous garderions bien de donner le préservatif comme infaillible, étant persuadé qu'une bonne réglementation en vertu de laquelle une sévère répression serait exercée à l'égard des chauffeurs excentriques, qui du matin au soir se font une obligation de brûler le pavé vaudrait bien mieux pour la conservation des infortunés piétons que tout le corail du monde. La meilleure des amulettes, ce serait encore le procès-verbal en bonne et due forme des gardiens de la paix.

    Y a-t-il des automobiles sur la terre d'Islande? Il faut espérer que non, car, dans ce lointain pays, le moyen que nous venons d'indiquer comme la vraie garantie des piétons contre les vitesses exagérées des tricycles ou voitures à pétrole ne saurait avoir des résultats bien efficaces.

    La vertueuse Islande ne compte, en effet, pour assurer la sécurité de la rue qu'un seul et unique agent de police. Et encore n'est-il là que pour la forme, les vols et les crimes de tous genres étant totalement inconnus dans le pays, où les maisons n'ont même pas de portes ; on y doit geler par exemple, à ce compte-là, mais au moins n'y court-on pas le risque d'être cambriolé comme une simple souveraine néerlandaise.

    Ajoutons ce détail que les fonctions de l'unique gardien de la paix consistent tout simplement à se promener dans les rues avec un costume rouge qui tient, parait-il de celui de nos suisses de cathédrale, la hallebarde en moins. Donc,

    Quand les sergents s’en vont par deux,

    comme chantait le pauvre Jules Jouy, ce n'est pas en Islande qu'on peut contempler cet imposant spectacle.

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